LES SYMBOLES DANS LA BIBLE

L'ÉCHELLE DE JACOB

Isaac vient de bénir son fils Jacob au détriment de son aîné Esaü; mais il était déjà aveugle et il ne s'était pas rendu compte tout à fait du subterfuge de substitution opéré par sa femme Rébecca, qui estimait qu'Esaü ne méritait pas de bénédiction. Comme son père l'a déjà fait pour lui, Isaac recommande à Jacob de prendre femme dans le berceau de la famille, en Aram, chez Laban son neveu, et de ne pas épouser une femme de Canaan. Jacob quitte H'ébron, fait un détour par Béér Shewaa', avant de se diriger vers le Nord.

Béér Shewaa' est une place sanctifiée par des autels édifiés par les patriarches. Elle est réputée pour les sept puits creusés par eux, signe de conversion des païens à la foi unitaire. C'est là aussi qu'un pacte de paix et de non-belligérance fut signé entre le grand père Abraham et le roi philistin Abimelekh.

Jacob remonte vers H'aran, le domicile de son cousin Laban. Sur la route, il est poursuivi par son frère Esaü qui ne lui pardonne pas de lui avoir usurpé la bénédiction paternelle. Esaü charge son fils Eliphaz de tuer Jacob. Eliphaz est décontenancé par le sang-froid et le halo de son oncle qui lui offre de plus toutes ses richesses et son bétail. Eliphaz renonce à le tuer.

Jacob poursuit sa route et fait une halte près du mont Moriah, près de l'école qu'il fréquentait, l'académie de Shem et d'Eber. Il rend hommage à l'Eternel d'avoir épargné son père, sur l'autel du sacrifice.

Ce soir-là, le soleil semble décliner plus tôt que prévu, et Jacob prépare une couche avec un oreiller constitué de quatre pierres. A ce jour, Jacob n'avait pas encore d'expérience prophétique majeure, mais de simples rêves prémonitoires. Il n'avait sans doute pas encore réuni en lui les trois qualités nécessaires de sagesse, de force et de richesse intérieure. Il était surtout angoissé par cette poursuite acharnée de son frère jumeau, et son humeur depuis ce temps-là n'était pas particulièrement gaie. Il était aussi préoccupé par ce long voyage devant lui et anxieux de l'incertitude de trouver une compagne. Il se demandait même si un jour il allait revoir la Terre Sainte.

Au début de la nuit, Jacob crut que les pierres conversaient entre elles: quatre oiseaux (des anges?) s'étaient posés sur les pierres de l'oreiller et commençaient à troubler son sommeil. S'étant consacré à l'étude, cela faisait quatorze ans que Jacob ne s'était pas endormi aussi tôt pour une nuit complète; il savourait son sommeil, quand il se mit à rêver.

Il rêva d'une échelle fichée au sol et s'élevant très haut dans le ciel, une échelle large et grande, sur laquelle deux anges montaient et deux autres anges en descendaient. En haut de l'échelle, à peine visibles, il y avait quatre "h'ayot" ou "créatures vivantes" qui regardaient vers le bas. Les anges circulaient médusés, entre Jacob et les "h'ayot". Une lumière extraordinaire, rayonnant des "h'ayot", mais aussi de Jacob, illuminait le monde. Les anges psalmodiaient "ô Lumière d'En-haut! ô Lumière d'En-Bas!". Jaloux, certains anges voulaient tuer Jacob, l'accusant de vouloir déserter la Terre Sainte. Mais le chef de l'armée céleste leur intima l'ordre d'y renoncer, car telle n'était pas leur mission. Il leur expliqua que toute la Terre Sainte avait été roulée dans la pierre-oreiller de Jacob, les quatre pierres s'étant fondues en une seule. Cela signifiait que Jacob reviendrait en Terre Sainte et y serait enterré parmi les siens.

Ce rêve est le reflet des préoccupations du moment de Jacob: anxiété à la veille d'un long voyage hors de sa terre, angoisse de ses rapports avec son frère jumeau, inquiétude due à l'incertitude de trouver une compagne pour la vie, qui lui convienne. Ce rêve est aussi le reflet de l'univers futur de tout un peuple et c'est en cela qu'il est prophétique.

La garantie de survie d'une nation porteuse d'un message aussi fort que celui du monothéisme ne peut être obtenue que par son éparpillement périodique. Le mouvement ascendant et descendant de l'échelle peut être comparé à un cycle d'évolution, au mouvement d'une vibration. Après les épreuves, suit l'ascension vers la révélation, culminant dans la plénitude de la lumière brillante. Après cela, un déclin continu est amorcé jusqu'à l'exil, jusqu'au fond de l'abîme et de la lumière obscure. Puis le cycle reprend par le retour, une renaissance et la poursuite d'un nouveau cycle.

Selon la Tradition, la valeur numérique de l'échelle en hébreu est équivalente à celle du Sinaï ("soulam" égale Sinaï) ce qui conduit à établir une relation entre ces deux concepts. Israël monte de la plaine vers la montagne pour recevoir la lumière de la parole divine et la Torah descend des hauteurs du ciel pour être donnée par étapes au peuple. Il y a un mouvement de va-et-vient dans la compréhension d'une information neuve et condensée.

Moïse et son frère Aaron sont comparés aux anges qui montent chercher la Loi et qui en descendent avec des Tables.

Dans le même esprit, un anagramme du mot échelle ou "soulam" est l'idole ou "sémel". L'adhésion ou la compréhension du monothéisme ne sont pas uniformément acquises: un mouvement de rapprochement et d'éloignement permanent semble nécessaire. La vérité est dans l'aller et retour entre un divin transcendant et un divin immanent. On sait que le monothéisme est une tension continue et un va-et-vient constant entre l'idée que le divin se trouve dans tout élément de la création, comme dans le polythéisme et l'idolâtrie et celle d'une abstraction totale du divin le vidant de tout contenu, comme dans l'athéisme.

Certains voient dans le double mouvement des anges sur l'échelle, la montée et la descente des prêtres qui sacrifient sur l'autel; car le but du sacrifice est d'atteindre le ciel d'une manière symbolique, le sacrifice en hébreu étant à la fois une proximité et une montée.

On peut voir dans ce double mouvement d'anges, celui des anges-gardiens des nations qui asserviront Israël: le nombre de barreaux correspond au nombre d'années d'occupation ou d'exil. L'ange de Babylone monta soixante-dix barreaux puis descendit; l'ange de Perse, cinquante-deux barreaux, l'ange de la Grèce, cent-quatre-vingt barreaux et l'ange d'Edom, un grand nombre de barreaux, qu'il ne cesserait encore de monter, mais il se rapprocherait semble-t-il aujourd'hui des "h'ayot" du Trône de Gloire.

La qabalah assimile l'échelle aux quatre univers intermédiaires de l'Arbre de Vie, séparant le divin de l'humain. De bas en haut, l'action, la formation, la création et l'émanation.

Nous sommes enclins à considérer que le double mouvement des anges sur l'échelle est celui de la pensée humaine et de ses rapports avec le divin, pensée qui balaye l'espace intermédiaire et angélique qui les sépare, par la voie du rêve ou de la vision: c'est le mode de transmission de la connaissance du divin.

 

Albert SOUED - 1996

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