LES SYMBOLES DANS LA BIBLE

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LE VOYAGE DE JONAS (YONAH)

Le livre de Yonah, communément appelé Jonas, est court et ne comprend que quatre chapitres. Il a été classé parmi les petits prophètes et, comme prophétie, Yonah ne profère que cinq mots qui ne se réaliseront pas. Il aurait été écrit entre le 5ème et le 3ème siècle avant l'ère courante.

On doit rappeler ici qu'un prophète est un homme ordinaire qui reçoit la parole divine à travers un rêve ou une vision et qui l'exécute. Il y a différents niveaux de prophétie allant d'un simple rêve prémonitoire à une vision directe du divin, dans le cas de Moïse.

Le voyage de Yonah n'est pas banal. D. lui demande de partir prophétiser à Ninive, ville perverse et déviante, mais Yonah préfère s'embarquer à Yafo, vers la mythique Tarshish (1). Il a "dûment payé" son trajet et, apparemment déprimé, il dort dans la cale du bateau quand une tempête éclate. L'équipage le soupçonne d'être à l'origine de ce malheur qui risque d'emporter la vie de tous. On le questionne et Yonah reconnaît qu'il a désobéi à D.. Puis à sa demande, l'équipage le jette par dessus bord, non sans avoir longtemps hésité. Yonah est avalé par un poisson, mais il n'est pas broyé et il reste vivant. Il invoque D. et il prie. Le poisson le rejette sain et sauf au bout d'un séjour de trois jours. Cette fois-ci Yonah obéit à la parole divine qui lui demande pour la seconde fois de prophétiser. La ville de Ninive est grande et il faut trois jours pour la parcourir. Yonah prophétise au bout d'un seul jour et la ville, du roi à l'animal, se repent. D. pardonne et épargne Ninive. Yonah est mécontent de cette "volte-face" divine et part s'isoler dans une cabane à l'est de Ninive où son humilité est éprouvée, à travers la croissance et la disparition d'une plante, le ricin. Il est mécontent de son sort, et il ne semble accepter que les périodes de bonheur, notamment "quand le ricin le protège des dards du soleil", et il refuse les temps de malheur, "quand le ricin est sec et rongé de l'intérieur et qu'il ne le protège plus". Le résultat des épreuves est donc négatif et Yonah, qui ne comprend toujours pas ce qui lui arrive, souhaite mourir. D. finit par lui présenter la morale de l'histoire. "Quoi! Tu as souci de ce ricin qui ne t'a coûté aucune peine, que tu n'as point fait pousser, qu'une nuit a vu naître, qu'une nuit a vu périr: et moi je n'épargnerais pas Ninive, cette grande ville, qui renferme plus de douze myriades d'êtres humains, incapables de distinguer leur main droite de leur main gauche, et un bétail considérable!" (Jonas 4/10-11)

La prophétie de Yonah est lue lors de la conclusion de la lecture de la Torah (haftharah), à l'issue du service de l'après midi de Yom Kippour. Pourquoi? En se limitant au sens immédiat et à celui proposé par les maîtres, on constate que dans ce voyage il s'agit moins de prophétie que de "téshouvah" ou de retour sur soi ou vers D. En effet, d'après les maîtres qui ont adopté Yonah comme prophète et d'après ceux qui l'ont introduit dans la liturgie, le repentir ou la "téshouvah" de Ninive, la ville déviante, est un modèle et un exemple pour Israël. Selon eux, Yonah ne veut pas aller à Ninive parce qu'il sait que si sa prophétie entraîne la "téshouvah" de Ninive, un précédent sera créé. Yonah sait aussi que, dans les mêmes circonstances, son propre peuple, le peuple "à la nuque raide" ne se repentirait pas et, de ce fait, il ne voulait pas lui faire honte. Yonah se résoudra à aller prophétiser lorsqu'il a compris qu'il ne pouvait se soustraire à la mission que D. lui a assignée. L'épisode du séjour dans la cabane à l'est de Ninive montre aussi que Yonah n'a pas encore réalisé sa propre "téshouvah", puisqu'il reçoit une leçon d'humilité. Ainsi, on assiste à une double leçon, celle d'une "téshouvah" collective et celle d'un retour sur soi de Yonah.

En allant un peu plus loin et en recherchant le sens caché du texte prophétique, en analysant les mots clés utilisés et en faisant appel à des notions psychiques, puisqu'il s'agit de l'évolution de l'âme de Yonah, on peut arriver au schéma décrit ci-dessous. Rappelons ici que le Gaon de Vilna a établi une exégèse du livre de Yonah où celui-ci est assimilé à une âme qui transmigre pour se perfectionner, s'inspirant en cela du Zohar.

D. propose une mission à Yonah: parler à Ninive, grande ville ayant sombré dans le mal.

Yonah ne peut pas parler car il ne se sent pas encore mûr pour le faire. Il veut d'abord rechercher une vérité intérieure. Alors commence un processus d'individuation, le voyage de son âme vers le Soi (2).

Yonah s'embarque pour la mission qu'il s'est assigné à lui-même à Yafo, en direction de Tarshish, à la recherche de sa pierre précieuse. Il doit faire le lien entre son état conscient et son inconscient, entre son Moi et son âme sœur, féminine, entre son Moi et le souffle divin, l'ouverture spirituelle. L'alter ego féminin et ce souffle vers l'esprit divin sont représentés tous les deux par la lettre "hé", incluse par ailleurs dans le nom de Yonah.

Le processus qui s'ensuit peut être résumé ainsi. 

·  Yonah demande à mourir à deux reprises parce que sa prophétie ne s'est pas réalisée, puisque D. épargne Ninive qui s'est repentie. De plus, il est mécontent de son sort, car il n'accepte dans sa vie que les phases de bonheur, quand le ricin le protège des dards du soleil et il refuse les périodes de malheur, quand le ricin est sec et rongé de l'intérieur par un ver et ne le protège plus. Il se complaît dans le refus du destin proposé par D. et il exprime sa colère.

 

Le processus d'individuation de Yonah est insuffisant et il est probablement un échec. Yonah a réussi à mieux se connaître, ce qui lui a permis de récupérer la parole et de prophétiser. Mais Yonah n'a pas réussi à atteindre l'universalité du "mana", le Moi refuse de s'enrichir de l'Autre. Pour Yonah, le divin reste un moyen (dieu local) et non une fin (D. universel). En effet à Ninive, Yonah n'a retrouvé que le "hé" féminin de son nom; cette recherche n'est pas complète puisqu'elle n'a pas abouti à rencontrer le "hé" du souffle divin; cette découverte aurait fait de lui un prophète à part entière, un grand prophète. Yonah était trop préoccupé par lui-même (6), et il n'a pas dépassé ce stade.

 

Notes

(1)l'analyse sémiologique des noms propres donne le sens général du récit. Yonah est fils d'Amitay, de "ma vérité". Son père détiendrait ainsi sa vérité, ce qui expliquerait peut-être la fuite de Yonah devant D., le père. Au lieu de partir vers la ville indiquée, soit "nineweh", c'est à dire là où le "hé" s'épanouit (nine), il part vers Tarshish, c'est à dire qu'il montre un signe (taw) de faiblesse (rashish). Il est encore trop faible de la connaissance de lui-même pour aller vers l'épanouissement du "hé" spirituel. Il s'embarque à Yafo (yod/pé/waw), qui signifie que la parole (pé) est empêchée (waw=séparation ici) de se concrétiser (yod). Yafo montre que la parole ne peut pas encore sortir de la bouche de Yonah.

Le texte dit que Yonah règle son passage. Cette précision étonnante dans un récit allégorique nous montre que Yonah veut payer de sa personne et qu'il est prêt au sacrifice. On sait que la colombe-Yonah tend son cou et ne se rebiffe pas quand on veut la sacrifier.

Un autre mot du récit est énigmatique, c'est la plante "qiqayone". De quoi s'agit-il? Ici aussi l'analyse sémiologique nous permet d'approcher du sens caché. Nous avons un double qouf et chaque qouf est suivi d'un yod dont le sens est la réalisation d'une action (le bras). Qouf est un passage difficile, la voie étroite de l'initiation. Yonah subit 2 initiations avec succès, au fond de la cale et dans les entrailles du poisson qui lui permettent une meilleure connaissance de lui-même (noun). Le double qouf mène à noun, d'où qouf/yod/qouf/yod/waw/noun, où waw est ici le lien avec noun, la connaissance. On pourrait faire le même raisonnement avec un waw qui sépare ou qui empêche. En effet la connaissance véritable de D n'est pas atteinte malgré une autre double initiation, la traversée de la ville (insuffisante car 1 jour au lieu de 3) et le séjour dans la cabane à l'est de Ninive.

(2) en termes moins savants, le Soi est l'ensemble ou la totalité de la psyché d'un individu, la partie consciente, d'acquisition relativement récente par l'humanité et limitée, et la partie inconsciente. L'homme primitif était totalement inconscient, puis au fur et à mesure de son évolution, une faible partie de son inconscient est devenue "conscience" métaphysique, puis morale, puis philosophique. La conscience est ce qui est perçu par les sens, ce qui est ressenti, pensé, compris. Mais la conscience a des limites et une grande partie de ce qui est perçu passe dans l'inconscient, en même temps que tout ce qui n'a pas été perçu ou tout ce qui a été refoulé par le conscient pour différentes raisons (saturation, volonté d'oubli, frustrations…).

L'ombre est la séparation étanche entre le conscient et l'inconscient; elle empêche la communication entre ces deux entités. L'ombre se dissipe partiellement pendant les rêves ou lors des lapsus, des actes manqués, ou lors de situations extrêmes. L'équilibre d'un individu dépend de la connaissance du Soi et par conséquent de la dissipation de l'ombre et de la communication entre le conscient et l'inconscient. Quand la communication n'a pas eu lieu pendant trop longtemps, on sombre dans un état de désordre psychique. Le "surmoi" est le gendarme de la psyché ou l'autocensure qui empêche cette relation en faisant valoir des arguments d'ordre conventionnel, social ou religieux. Le prophète est un individu dont l'état de conscience est particulièrement développé, il est appelé "surconscient".

Le voyage de Yonah-Jonas apparaît comme dans un rêve ou une vision, faisant ressortir la partie la plus profonde de son être. La recherche de D. peut commencer par une meilleure connaissance de soi.

(3) Yonah "couche" dans les flancs profonds du bateau. Le bateau "onyah" qui peut être lu "ayn hé" ou "pas de hé" est devenu "sfinah", qui peut être lu "yesafen hé" ou "hé recouvert ou caché".

(4) Yonah est le nom de la colombe femelle, oiseau qui fait le lien entre deux mondes et qui est prompt au sacrifice.

(5) le poisson "dag" prend le "hé" et devient "dagah", le "hé" fait ainsi surface, et, ayant ainsi évolué, Yonah se sent assez fort pour affronter le peuple de Ninive.

(6) plein de lui même ou "malé", équivalent à "yonah" sur le plan guématrique, soit 71

 

 

Albert SOUED - 10/01/2000

Voir aussi l'échelle de Jacob

Voir aussi les rêves et les visions de Zacharie

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