TRIBUS PERDUES ET RETROUVEES
LES
JUIFS DE KHAYBAR
Localisation
des tribus et population
Au moins depuis la sortie dEgypte, les Hébreux seraient installés au Nord de lArabie, en pays de Madian (fief de Jéthro, beau-père de Moïse) et à Tayma (Jérémie 25/23). Pendant la période du 1er Temple, les tribus de Ruben, Gad et une partie de celle de Manassé résidèrent à la lisière septentrionale du désert du Néfoud et le long de la côte qui mène dAqaba au Hedjaz (Médine et la Mecque), sur les hauts plateaux montagneux de Khaybar et à Wadi Al Qoura. La tribu de Simeon conquit plus tard le mont Séir (Chroniques 4/42). Après la destruction du 1er Temple, 80 000 prêtres sy seraient réfugiés et des Juifs de Babel auraient accompagné Nabonide à Tayma lors de sa conquête de lArabie. Lors de la période du 2ème Temple les Juifs essaimèrent dans des implantations agricoles et poussèrent jusquà Yatrib (Médine). On a trouvé des inscriptions relatant leur présence à Al Hijra, à Al Oula (Didan) et à Madayn Saleh. Lors des épreuves contre Rome des Juifs émigrèrent vers Khaybar et vers Médine 150 km plus au Sud.
Lors des premiers siècles de lère courante, attirées par le degré davancement culturel et technique de ces tribus juives, de nombreuses populations arabes idolâtres se convertirent au judaïsme. A cette époque on pouvait estimer la population juive dans la zone habitée entre Nattah, Chaq et Koutayba à un demi million dâmes.
Lors de la conquête arabe, les Juifs dArabie furent soit massacrés, soit convertis à lIslam. Certains dentre eux repartirent vers la Terre Sainte, notamment à Youtta, près de Hébron, à Sanour en Samarie, à Jéricho ou au delà du Jourdain, à Deraa. Dautres ont eu la vie sauve grâce à Safiyya, la fille du chef de la tribu Abou Nadir, que Mohamed emporta avec lui comme captive et épousa. On a de nombreux témoignages de la présence juive en Arabie du Nord, jusquau 19ème siècle. On comptait entre 200 000 et 300 000 juifs encore au Moyen Age. Mais depuis que le wahabisme sest imposé au Hedjaz, on ne trouve plus de trace de judéité en Arabie (1). Pourtant aujourd'hui aussi bien les bédouins de Khaybar que ceux de certaines localités de Terre Sainte se réclament plus ou moins discrètement de leur ascendance juive (tribus de Mohamar et Massalma à Youtta, Dar el Lahm à Beyt Attab ). Ils sont appelés « les juifs de Khaybar » avec une connotation péjorative. Ils se considèrent, eux, comme « les fils de Moïse » !(2)
Les tribus juives les plus célèbres parmi la vingtaine que comptait la région sont les Banou Nadir et les Banou Qouraysha, appelées les « kahinim » ou prêtres, les Banou Qaynouqa et les Charamat.
Khaybar
(en hébreu haybar) signifie « forteresse » ou plutôt « vie
dans la nature ». Située à 150 km au nord de Médine, Khaybar était formée
dune série de forteresses surplombant des marécages asséchés, sur les
hauts plateaux montagneux du Nord-Ouest de lArabie. Les Juifs assainirent
ces marécages et cultivèrent les terres pierreuses. Ils travaillaient dans les
vallées le jour et se réfugiaient dans leurs forteresses la nuit. Ils étaient
réputés pour leur technicité en agriculture (les meilleures dattes dArabie,
la vigne, les arbres fruitiers et les légumes) et dans lélevage des chevaux
et des chameaux. Ils étaient spécialisés aussi dans lélevage de vers à
soie appris en Chine et dans le tissage et la confection de vêtements en soie
qui étaient exportés par les caravanes jusquen Syrie. Certains étaient
bijoutiers ou fabricants darmes et darmures.
Leurs
pitons élevés servaient de phares la nuit pour les caravanes qui sacheminaient
vers le Hedjaz. Ils étaient aisés, dune grande hospitalité, ouvrant leurs
portes même la nuit. Plus tard, acculés par les nouveaux musulmans à se défendre,
ils se sont transformés en brigands, rançonnant à leur passage ces mêmes caravanes
pélerinant vers la Mecque.
Khaybar
était aussi réputée pour ses poètes. Le poète le plus réputé et le plus cité
par les arabes eux-mêmes est incontestablement Shmouel ben Adiya, appelé
« le roi de Tayma » (3).
Khaybar
est tombée sous les coups des nouveaux musulmans en 628 et du fait de la chute
antérieure du royaume juif de H'imyar (ou Yémen) d'Arabie du Sud. Ce royaume
juif assurait une protection de fait aux implantations juives du Nord contre
linvasion des tribus idolâtres nouvellement islamisées.
Les
Juifs de Khaybar étaient en contact avec leurs coreligionnaires de Babel, du
Caire, de Terre Sainte et du Yémen. Ils pratiquaient par conséquent un judaïsme
selon les règles halakhiques définies par les rabbins. Même après la conquête
arabe et la chute de Khaybar (4) ils ont gardé leurs coutumes. Ce nest
que sous linfluence wahabite à partir du 18ème siècle quils
commencèrent à perdre leur spécificité (5). Les garçons sont circoncis à un
an au lieu de huit jours; néanmoins ils observent le repos du shabat, portent
un taleth et se marient entre eux comme les « marranes » (6 ).
Encyclopedia
biblica
Encyclopedia
judaica
Isaac
Ben Zvi « Les tribus dispersées » - Ed de Minuit -1959
Hava
Lazarus Yaffé Studies in the history of the Arabs and Islam- Reshafim
Publishing House - Tel Aviv 1975 for the Prime Minister Office
(1)
Depuis la création de lArabie saoudite, après la chute de lempire
Ottoman, son territoire est interdit aux Juifs.
(2) La tribu de Gad protégeait les marches du Royaume de Judée, dans les temps bibliques. Il est curieux de noter que les gardes-frontières dIsraël sont pratiquement tous des Bédouins, descendants de cette tribu.
(3)
Ayant laissé jusquà ce jour auprès des gens éduqués une réputation
dhomme de parole, ce poète juif de Khaybar est mentionné ou invoqué
quand on veut qualifier ou désigner un homme dune grande intégrité qui
tient ses promesses. Ce poète avait un ami, chef dune tribu arabe polythéiste,
Imr Al Qays. Comme ce dernier devait faire un voyage à Byzance, il confia à
notre poète son arsenal darmes et sa fille bien aimée. En effet Imr Al
Qays se méfiait dun ennemi héréditaire, le chef de la tribu Ghassan et
il avait peur quil ne sempare de ses armes et de sa fille, en son
absence. Or Imr Al Qays mourut à Byzance et le chef des Ghassan en fut informé
par le sultan. Il sen fut aussitôt menacer Shmouel Ibn Adiya pour récupérer
les biens dImr Al Qays. Le poète ne céda pas aux menaces. Un jour que
son fils était à la chasse, il fut enlevé par les esclaves des Ghassan. Un marché
fut proposé : la vie sauve de lotage contre les armes et la fille
dImr Al Aqys. Notre poète ne céda pas plus et son fils fut assassiné.
(4)
Dans son livre « les Juifs en Arabie » Israel Ben Zeev décrit
ainsi la destruction de Khaybar « Les conséquences de la guerre furent
catastrophiques. Les Juifs de Khaybar, après des centaines dannées de
liberté, de paix et de travail, tombèrent en esclavage. Une nation qui tenait
avant tout à la pureté des liens familiaux vit ses femmes et ses filles livrées
aux mains des conquérants, qui se les partagèrent en même temps que les troupeaux »
(5)
Ishaq Ben Zvi , ancien président dIsraël, auteur de
« Les tribus dispersées » et spécialiste des juifs arabes, fait le
lien dans son livre entre la disparition des Juifs de Khaybar et lapparition
de la secte wahabite, au milieu du 18ème siècle. Celle-ci prendra
le pouvoir en Arabie deux siècles plus tard. Il émet même lhypothèse dun
ralliement des Juifs à la doctrine de cette secte musulmane, avec des influences
mutuelles.
(6)
Au milieu du 19ème siècle, on trouve encore des traces des
Juifs de Khaybar. Daprès un explorateur de lépoque, le rab Joseph
Shwartz, dont les propos sont rapportés dans « les tribus dispersées »
p160 «
Ils vivent isolés et évitent tout contact avec les étrangers,
même et surtout avec les autres Juifs, tant ils éprouvent de la crainte dêtre
confondus avec eux. La plupart pratique lélevage du mouton le long de
la côte orientale de la Mer Rouge. Près du port de Yambo, dautres possèdent
des forges et commercent avec dautres tribus, qui les surnomment les Arabes
du Shabat, car ce sont des Bédouins qui observent le shabat. On les redoute
car ils sont une race de géants. Ils parlent arabe et hébreu
.Ils se tiennent
à lécart des autres Arabes, même au cours de transactions commerciales
et ils évitent de descendre de leurs chameaux, gardant les armes à la main.
On aperçoit parfois leurs tsitsith, accrochés à leur burnous
»
Albert
Soued novembre 2002