LA VIGNE ET LE VIN

 

Une des bénédictions les plus courantes dans la liturgie hébraïque concerne le Créateur du "fruit de la vigne", bénédiction faite avec une coupe de vin ou de jus de raisin. Pourquoi ce végétal a-t-il été choisi, en même temps que "le pain de la terre" pour servir de support à la foi dans le Créateur?

En effet, le pain est important comme nourriture de survie pour l'homme et son absence entraîne la famine et la mort. Mais qu'en est-il du "fruit de la vigne"?

 

On examinera les différents mots liés à la vigne à travers l'étymologie, la sémiologie et leur premières occurrences bibliques.

 

"Fruit de la vigne" se dit "peri hagéfen". Le vignoble s'appelle "kérem", le raisin "a'nav" et le vin a quatre désignations essentielles, la plus courante étant "yayine", puis "tirosh", "h'émer" et "dam a'navim".

"A'ssis" est un jus de fruit pressé, fermenté ou non, qui peut être aussi bien un vin de grenade que de pêche. Cantique des Cantiques  8/2:  "je t'emmenerais, je te conduirais dans la maison de ma mère; là tu m'instruirais, et je te ferais boire le vin parfumé, le jus de mes grenades"

 

Des boissons alcoolisées plus ou moins fortes sont citées dans la Bible, mais elles ne sont pas forcément tirées de la vigne: "sékher", "sobé", "mézeg", "nessekh" et "messekh". Pour la plupart, ces boissons sont liées à des libations idolâtres et à des mélanges pour se saouler.

 

 

Géfen et a'nav

 

"Peri" est un terme générique qui concerne tout ce qui peut se développer et fructifier, tout ce qui jaillit grâce à un support fertile. La racine "pr" désigne aussi bien le fruit (peri) que le taureau (par). "Kérem", le vignoble est lié à un terrain arrondi sur les hauteurs; on sait que les meilleurs vignobles bibliques se situent sur les collines de H'ébron. Le premier vignoble de la Bible est celui qui a été planté par Noé après le déluge (Genèse 9/20).

 

"Géfen" est un arbuste, un cep de vigne. Sur le plan de la sémiologie, le mot peut se lire de différentes manières. Géfen= ghimel – fn, gaf – noun, pé dans gan.

La première expression signifie "aller vers l'art, l'irréel", la deuxième donne "l'aile de la connaissance", et la troisième nous dit que "la parole ou le verbe est à l'intérieur du jardin".

On trouve les premières occurrences de ce mot dans un rêve du maître échanson de Pharaon, accusé de complot contre son maître. Ce rêve va permettre à Joseph, reconnu comme un illustre interprète de rêves, de trouver grâce auprès du pharaon et de parvenir au pouvoir. Interprété par Joseph, ce rêve va disculper le maître échanson "porteur de la vigne", le panetier, "porteur du pain" se découvrant comme le coupable du complot, grâce à l'interprétation de son propre rêve (Genèse 40/9-10). L'occurrence suivante concerne la bénédiction de son fils aîné Yéhoudah par Jacob-Israël comme on le verra ci-dessous (Genèse 49/11).

 

Il apparaît déjà que la vigne est liée à une certaine connaissance qui est libérée grâce à son fruit et qui permet de s'exprimer par la parole et même de s'envoler. Cette connaissance est liée au monde intermédiaire et ce n'est pas seulement une connaissance profane, mais la connaissance qui rapproche du divin.

 

"A'nav" le raisin, est "entortillé" sur le plan étymologique, mais c'est "la source de la connaissance intérieure" sur le plan sémiologique. Le raisin est un début de psychanalyse pour dénouer ce qui est noué dans son âme. Les premières occurrences sont les mêmes que celles de la vigne, et les deux mots sont ainsi étroitement liés. La connaissance de soi et celle du divin procèdent de la même démarche.

 

Yayine

 

Yayine le vin est lié au raisin noir. Sur le plan sémiologique, la connaissance "noun" est en dehors du divin, représenté par le double yod. Le vin exalte une connaissance seulement profane. Les premières occurrences sont liées soit à l'inceste, soit à la ruse.

Après le Déluge, Noé plante une vigne, boit son vin et son fils H'am le surprend, dénudé (Genèse 9/21). H'am est maudit par son père. L'humanité n'a guère changé après le nettoyage du Déluge.

Après la destruction de Sodome, les filles de Loth croyant l'humanité éteinte, enivrent à tour de rôle leur père, pour pouvoir s'accoupler avec lui et enfanter une humanité nouvelle (Genèse 19/32-35).

Jacob se fait passer pour Esaü, son frère jumeau mais l'aîné, pour recevoir la bénédiction paternelle, au détriment de son frère (Genèse 27/25).

Le vin est interdit au prêtre qui officie dans la Tente du Rendez-Vous (Aaron cohen et sa descendance – Lévitique 10/9) et à celui qui fait vœu d'abstinence (nazir).

 

Tirosh

 

Tirosh est le moût, le vin nouveau. Il connote une certaine richesse dont on hérite. Il est un signe d'héritage. D'ailleurs sa première occurrence se situe dans la bénédiction de Jacob par Isaac qui souhaite à son fils une richesse en grain (dagan) et en vin (tirosh). Voir Genèse 27/28 et 37.

 

H'émer et dam a'anavim

 

H'émer est un vin rouge de qualité, une boisson qui fermente et rougit en vieillissant. Il est signe d'évolution. Il connote également l'âne (h'amor) qui, dans l'ésotérisme de la qabalah, est un signe d'éveil à des visions surnaturelles.

Son apparition dans le pentateuque est tardive puisque ce mot se trouve dans le dernier chapitre du deutéronome (haazinou chap 32), le dernier chant de Moïse avant sa mort. Le verset 14 concerne deux boissons délicieuses bues par le peuple d'Israël grâce à la miséricorde divine; l'une d'elle est "h'émer", l'autre est appelée "dam a'navim" ou sang des raisins. Il s'agit d'un simple rappel au peuple d'Israël qui, dans l'opulence et la facilité, a oublié celui qui l'a créé…

Mais "dam a'navim" apparaît justement la première fois dans la bénédiction de Yéhoudah par son père Jacob-Israël (Genèse 49/11-12). Yéhoudah, à travers David et le Messie, doit mener le peuple d'Israël vers les temps messianiques où il n'y aura plus besoin de rêver et d'avoir des visions prophétiques, puisque ce qu'on espérait est réalisé. Il s'agit de la fin des temps. On peut alors "attacher son ânon à la vigne et à la treille le fils de son ânesse, laver son vêtement dans le vin, et dans le sang des raisins sa tunique"

En ce temps là, le vin coulera à flot comme l'eau et n'aura plus de valeur liturgique, puisque la connaissance du divin sera répandue sur toute la terre. Et on ne fera plus de bénédictions….

 

Conclusion

 

L'enseignement qu'on peut tirer de cette analyse est que si le pain assure la survie du corps, le fruit de la vigne renforce l'esprit et l'âme, en faisant le lien entre la connaissance de soi et celle du divin.

Même si le vignoble est signe de richesse matérielle, le vin ordinaire qu'on en tire, le vin de la "rigueur", peut mener à des excès et au mal.

La boisson de la bénédiction est un jus de raisin ou un vin doux de qualité, annonçant déjà les temps messianiques.

 

 

 

Albert Soued – 7 septembre 2003

Retour à Conférences et cours