Commentaires du chapitre 2 du Séfer Yetsirah

Chapitre 2 verset 1

A partir de ce deuxième chapitre, il n'est plus question que des lettres hébraïques qui se décomposent en trois catégories:

Le verset s'appesantit sur les lettres-mères qui constituent la triade fondatrice sur laquelle on reviendra longuement au chapitre 3. D'un côté, une paume de droit ou de privilège de l'innocence, une paume de crédit ou de mérite, de pureté et de clarté. De l'autre côté, une paume de devoir ou d'obligation de la culpabilité, une paume de débit et de péché. Entre ces deux paumes, s'inscrit le fléau de la balance, qui penche d'un côté ou de l'autre. Entre la "gorge " et le "palais" s'insère une langue de justice et de vérité qui rétablit un équilibre précaire. La parole de la "loi" est décisive et déterminante entre deux penchants contraires. La parole de justice et de vérité fera pencher la balance après avoir pris la juste mesure de la situation.

"Mém" est la matière inanimée et silencieuse dont l'image est l'eau tranquille. "Shin" est le sifflement strident du feu et "aleph" est le souffle de l'air qui décide entre ces deux éléments.

Sur le plan sémiologique, le verbe "kharaa'" ou khaf/réyaa', paume/pensée, dessein, est ainsi la pesée par la pensée du dessein, de l'objectif.

Chapitre 2 verset 2

On a vu que la racine h'/q/q est une action horizontale qui va de l'intérieur vers l'extérieur, comme si une loi nouvelle devait traverser un passage difficile, pour parvenir à s'imposer. La loi de l'écriture alphabétique à 22 lettres a été un long et douloureux enfantement, qui s'est imposé aux scribes-prêtres, perdant ainsi une part de leur monopole.

La racine h'atsav ou h'/ts/v est une opération verticale de partition, allant du haut vers le bas; on taille, on équarrit à l'image des maçons préparant les blocs de pierre du Temple de Salomon.

On retrouve ces différentes opérations dans la calligraphie, œuvre de création mimant celle du Créateur.

Les trois opérations suivantes sont "lishqol" ou peser (sh/q/l), "léhémir" ou transformer, transposer, convertir, échanger (h/m/y/r) et "litsrof" ou fondre, purifier, combiner (ts/r/f). Elles correspondent aux règles d'herméneutique appelées guématria (donner des valeurs numériques aux lettres), témourah (transformer les mots en échangeant les lettres selon de nouvelles règles de substitution) et notarikon ou tsérouf (anagramme ou partition de mots en gardant les lettres). Ces opérations sur les lettres sont à la base de toute méditation devant mener à l'extase. Grâce à elles, les lettres s'animent, "prennent vie", ont une âme. Cette âme néfesh est la base de tout vivant. Par son action et son perfectionnement, l'être humain se revêt ensuite de niveaux d'âme de plus en plus élevés.

Ces trois opérations de l'herméneutique sont des méthodes usuelles d'analyse et de réflexion de tout qabaliste.

Chapitre 2 verset 3

L'action de passage horizontal ou gravure est réalisée grâce à la voix qui libère la lettre de la matière. L'action de taillage vertical est réalisée grâce au souffle, l'âme ou l'esprit. Le souffle donne une intériorité aux lettres. Celles-ci sont ensuite fixées dans la bouche en cinq lieux, au fond de la gorge, contre le palais, sur la langue, entre les dents et entre les lèvres. Grâce à ces cinq positionnements et aux voyelles, on peut articuler des mots ayant un sens.

Chapitre 2 verset 4

On peut aussi placer les vingt deux lettres sur un cercle mobile et les associer deux à deux, pour obtenir des doublets. Chaque doublet devient alors une "entrée" pour un mot de trois lettres (racine du langage hébraïque) et une possibilité d'équilibre ou de mesure entre les lettres. En effet, si on associe aleph avec bet, on obtient "ab" le père. Inversement si on associe bet avec aleph, on obtient "ba", il vient, donc deux sens différents.

Mais si on associe aleph avec lui-même, on obtient "aa" dans les deux sens, en avant et en arrière, et il y a donc redondance. Ainsi, on ne compte que 22x21 doublets (et non pas 22x22) possibles dans les deux sens, soit 462 issues. Le mot "nétiv" ou sentier a la valeur guématrique de 462. Les 462 doublets sont les issues-sentiers de la Sagesse, source du langage hébraïque. Mais si on ne considère qu'un seul sens, il n'y a plus que 231 issues.

Si on place "n" lettres sur un cercle et qu'on les relie deux à deux par des cordes, on a L=n(n-1)/2 cordes.

Si on les relie trois par trois par des triangles, on a T=n(n-1)(n-2)/2x3 triangles.

Ainsi si n=22, L=231 cordes et T=1540 triangles.

La langue hébraïque étant surtout trilittère, avec 22 lettres, on a en théorie 1540 racines de trois lettres. Mais chaque racine peut être permutée en 6 mots différents des trois mêmes lettres (anagrammes).

Le verset 4 donne un exemple éthique de ces permutations de mots: o'neg (a'yin/noun/ghimel) est le délice quand négaa' (noun/ghimel/a'yin) est le fléau de la peste.

Chapitre 2 verset 5

Mais l'unité reste l'origine et le but de tout langage. Pour obtenir une vision extatique, on commence par appliquer une des trois règles de l'herméneutique:

  1. peser ou donner une valeur numérique aux lettres et aux mots et trouver des mots de valeur équivalente qui peuvent être liés entre eux (guématria)
  2. transformer, avec de nouvelles règles de substitution; par cette méthode on obtient des mots et des sens nouveaux (témourah). Ainsi, si on remplace la première lettre par la deuxième, la deuxième par la troisième etc…, on applique alors la règle dite "abgad" et selon celle-ci, par exemple, le tétragramme (y/h/w/h) devient le "kouzou" (kh/w/z/w)!
  3. permuter les lettres et obtenir des anagrammes d'un mot qui génèrent des sens nouveaux de même valeur numérique et donc ayant une certaine affinité (notarikon ou tsérouf)

L'exercice le plus classique consiste à associer chaque lettre de l'alphabet avec chaque lettre du nom divin, vocalisé successivement par les cinq voyelles a, é, i, o, ou, ce qui donne 97240 énonciations différentes, et nécessite plus de sept heures de travail de concentration d'affilée. Chaque vocalisation est de plus accompagnée d'un mouvement de la tête différent, "a" de droite à gauche, "é" de gauche à droite, "i" tête vers le bas, "o", tête vers le haut, "ou" , tête vers l'avant…

Grâce à ce type d'exercice, on arrive à une concentration telle de l'esprit que le MOI est évacué au profit d'un SOI (totalité psychique) qui s'installe progressivement. Si de plus l'imagination intervient sur un terrain préparé par la raison, l'être se met à vibrer à l'unisson de cette "unité cachée". Cette vibration se matérialise par un tremblement du corps et une perte de contrôle des moyens physiologiques.

La quête du divin ou la recherche de l'unité en soi sont des actes dits d'amour. La proximité d'une telle rencontre provoque l'antidote, c'est à dire la crainte, allant jusqu'à la terreur. La vibration de frayeur crée de ce fait une distance entre le cherchant et l'objet de sa recherche. L'équilibre dans les couples amour/crainte et proximité/distance détermine la suite des événements. Celui qui a reçu une préparation adéquate triomphe de sa peur et il obtient une "vision extatique". Les images floues et fugaces qui se succédaient grâce à l'imagination se figent alors brusquement en une image précise et aigue, comme l'eau qui devient glace ou miroir de marbre. Les contours clairs et lucides d'une vision flashent dans l'esprit du cherchant. "Tout ce qui est formé et tout ce qui est énoncé ou dit émane du seul nom divin…"

L'Adam du Paradis avait une vue "visionnaire" de l'univers. Pour lui, les images n'étaient jamais floues, mais taillées dans le roc, claires et précises, les "écorces" du Mal n'ayant pas encore envahi le Jardin. Après les transgressions du couple édénique, le mélange du bien et du mal qui s'ensuit est à l'origine du brouillage de notre vision du monde. De même fabriquer un GOLEM est une métaphore pour dire qu'on cherche à reconstituer un monde paradisiaque pour retrouver l'état de lucidité et de Sagesse perdu depuis la sortie de l'Eden. (Golem et h'okhmah, Sagesse ont une même valeur numérique 73).

Chapitre 2 verset 6

"Ayn" est le néant originel qui, par la volonté divine indiscernable, est devenu "yesh", il y a. On perçoit cet "il y a " lors de visions extatiques, quand on a atteint par la pensée et la méditation, les séfirot supérieures Discernement/Connaissance/Sagesse (cf vision d'Ezéchiel).

Passer de l'état de confusion appelé "tohou" à celui de la matérialité concrète et organisée, appelée "mamash", équivaut à s'élever sur l'Arbre de Vie de Binah vers H'okhmah. On passe d'un état conscient et discernant mais brouillé, à un état de lucidité visionnaire et globale où on peut former et figer des images nettes et précises à volonté. On peut transformer l'image initiale elle-même. Ainsi les sept piliers d'air transparent deviennent visibles en se formant, comme s'ils se figeaient en une glace translucide. Il s'agit des sept séfirot issues de Binah, appelées "tsai'r anpin" en langage "partsoufique". Celui qui médite voit "de haut" l'univers créé; il a une vision mystique et, de plus, entrant dans l'essence des choses, il peut les transformer à volonté. L'Arbre de Vie prend forme et vie et celui qui est en quête monte de bas en haut et descend de haut en bas, parcourant de ce fait les vingt deux lettres de l'alphabet, liaisons entre les séfirot et formant un ensemble cohérent.

L'ensemble "séfirot et lettres" est une seule et même unité.

 

 

L'Arbre de Vie en "partsoufim"

 

ARIKH ANPIN

IMA ------------ ABA

TSAI'R ANPIN

NOUQVAH

 

 

Albert SOUED – 5/2/01

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